Les morsures de serpents sont généralement gérées dans la plus grande confusion. De nombreuses morsures ne sont pas suivies d'envenimations fatales et il importe de rassurer la victime. Certaines légendes doivent être définitivement détruites. Le mythe du serpent minute et celui du serpent toujours mortel ont la vie dure. L'injection de venin n'est jamais inéluctable. Si, en cas d'envenimation, la létalité varie selon les espèces entre 1 et 30 % en l'absence de traitement, encore faut-il préciser que plus de la moitié des morsures de serpents ne sont suivies d'aucune envenimation. En outre, le délai entre l'injection du venin et le décès, si celui-ci survient, est compris entre 3 et 8 heures pour les envenimations cobraïques et 12 heures à 6 jours pour les vipérines. Quant aux traitements historiques (cautérisation, amputation, débridement, succion, garrot), plus dangereux qu'efficaces, il convient de les laisser définitivement au rayon des romans d'aventure.
Traitements symptomatiques et réanimation :
Si la sérothérapie a fait la preuve de son efficacité, elle n'exclut pas l'utilisation de traitements symptomatiques parfois vigoureux.
Paralysie respiratoire :
Elle est le résultat d'une envenimation cobraïque sévère et impose une ventilation assistée. Celle-ci devra être maintenue tant que la respiration spontanée n'a pas repris, ce qui peut demander plusieurs jours, voire plusieurs semaines (Campbell, 1964 ; Visser & Chapman, 1982). La trachéotomie doit être évitée autant que possible.
Certains auteurs administrent de la néostigmine qui semble potentialiser l'action du sérum antivenimeux. L'atropine s'est révélée expérimentalement très efficace contre le venin de mamba (Lee et al., 1982).
Syndromes hémorragiques :
Suite fréquente d'une envenimation vipérine systémique, ils relèvent d'une réanimation impossible à codifier. L'apport de sang frais ou de fractions sanguines, outre l'énorme difficulté de s'en procurer en région tropicale, semble avoir fait la preuve de son inutilité. La consommation des facteurs ainsi mis en circulation est immédiate. Toutefois, certains auteurs estiment que cela peut laisser le temps au sérum antivenimeux de fixer et d'éliminer les enzymes thrombiniques (Kornalik & Vorlova, 1990). L'héparine ne paraît pas avoir sa place dans le traitement de l'envenimation vipérine en Afrique. Les enzymes thrombiniques des Viperidae africains ne sont pas sensibles à son action et bien peu de leurs venins possèdent des activateurs de la phase précoce de la coagulation sur lesquels l'héparinothérapie pourrait présenter un quelconque intérêt.
Le traitement de l'œdème et de la nécrose sera de préférence médical jusqu'à la stabilisation des lésions. Un bain biquotidien de la plaie dans une solution tiède de dakin ou d'eau savonneuse préviendra une surinfection. Au cours des 24 ou 48 premières heures, il pourra être nécessaire d'avoir recours à une analgésie par bloc tronculaire à la xylocaïne qui aura, de plus, un effet anti-inflammatoire. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène, piroxicam), en tenant éventuellement compte des contre-indications hématologiques, prendront le relais. Les interventions chirurgicales précoces, souvent itératives, sont sources de complications hémorragiques et septiques. Dans la majorité des cas, elles devront être complétées par une chirurgie de propreté. Même un œdème monstrueux ne justifie pas, à lui seul, un débridement ou une incision de décharge. En l'absence de mesure des pressions intracompartimentales, qui pourrait conduire à poser l'indication d'une intervention rapide, la tendance actuelle est à l'expectative armée. Les excisions des tissus nécrosés ne sont d'aucun bénéfice tant que les lésions ne sont pas stabilisées et l'inflammation parfaitement contrôlée. En revanche, après quelques jours, lorsque l'état local le permet, la chirurgie retrouve sa place pour permettre le nettoyage de la plaie et établir le bilan fonctionnel. La littérature cite quelques cas dont l'arrivée tardive au poste médical a nécessité l'amputation en urgence d'un membre nécrosé ou gangrené mettant en jeu le pronostic vital (Chippaux et al., 1961 ; Pugh & Theakston, 1987b).
Traitements en cas de complications :
En dehors de la nécrose, dont le traitement a été envisagé plus haut, les deux principales complications survenant au décours d'une envenimation vipérine sont l'hémorragie cérébro-méningée, cause probable d'une grande partie des décès, et l'insuffisance rénale.
La première, difficilement évitable si l'on ne peut convenablement traiter le syndrome hémorragique initial, pourra bénéficier d'une corticothérapie associée à du manitol.
La seconde peut être prévenue par la relance précoce de la diurèse et son maintien, autour de 50 ml par heure, pendant toute la durée de l'envenimation. La recherche régulière d'une protéinurie et d'une hématurie microscopique est indispensable. Le traitement de l'insuffisance rénale relève d'une dialyse péritonéale d'autant plus efficace qu'elle sera précoce.
Dans tous les cas, il convient d'assurer une diurèse forcée pour permettre l'élimination des complexes immunologiques et des toxiques.
Immunothérapie :
L'immunothérapie, naguère appelée sérothérapie, demeure l'unique thérapeutique spécifique de l'envenimation ophidienne. Ses indications sont précises et nous avons récemment rappelé son mode d'emploi en détail (Chippaux & Goyffon, 1998). Le contexte particulier que l'on connaît en Afrique, faibles revenus de la population et climat chaud, a limité la disponibilité des sérums antivenimeux à la fois chers et thermolabiles. Le développement de l'immunothérapie en Afrique, indispensable en raison de la fréquence des envenimations et de l'absence d'autres recours thérapeutiques efficaces, reste une préoccupation (Chippaux, 1998b). L'utilisation de l'immunothérapie est conditionnée par l'observation de signes patents d'envenimation. Il ne peut donc s'agir d'une précaution systématique, comme cela se ferait pour la prévention du tétanos ou de la rage. Le sérum doit être injecté par voie veineuse et en quantité suffisante. Les posologies dépendent uniquement de la dose de venin inoculée, donc de la symptomatologie et de son évolution. Selon l'état de la victime et le délai séparant la morsure du traitement, 20 ml de sérum en perfusion ou en intraveineuse directe sont recommandés en première intention. Un examen biologique (test de coagulation sur tube sec) et clinique sera effectué une à deux heures plus tard puis toutes les 4 à 6 heures. En fonction de la réponse clinique et des résultats biologiques, cette thérapeutique pourra être renouvelée au cours des heures et des jours qui suivent, jusqu'à la fin de l'envenimation systémique. Celle-ci est marquée par une respiration normale dans les envenimations cobraïques ou la formation d'un caillot stable en moins de quinze minutes dans les envenimations vipérines. Certaines envenimations peuvent nécessiter jusqu'à 100 ml de sérum, voire plus, avec des succès justifiant, a posteriori, l'acharnement.
Les anticorps, en se fixant sur les protéines du venin présentes dans l'organisme,empechant ainsi cette dernière d'agir (c'est à dire qu'elle ne pourra plus se fixer sur un récepteur dans le cas d'une toxine ou se fixer sur son substrat dans le cas d'une enzyme). Ensuite, les protéines ayant une durée de vie limitée, elles finissent par se dégrader. . Les toxines constituent, en principe, des cibles plus rapidement maîtrisées que les enzymes souvent moins immunogènes. Toutefois, les syndromes hémorragiques et même la nécrose peuvent bénéficier de la sérothérapie. Celle-ci devra être entreprise quel que soit le délai séparant la morsure de l'arrivée au poste de santé.
L'immunothérapie qui bénéficie de nouveaux perfectionnements techniques pour assurer la purification du sérum de cheval est actuellement remarquablement tolérée et sa mauvaise réputation n'est plus justifiée (Chippaux et al., 1998).